Christophe Mali : « Il faut balayer le syndrome de l’imposteur de son esprit »
On le connait bien évidemment comme étant l’une des voix de Tryö, l’auteur de Désolé pour hier soir, Ce que l’on s’aime ou encore Le petit chose dont les paroles résonnent toujours dans nos têtes tant ces chansons ont marqué toute une génération. Après trois albums (le best-of ‘XXV’, ‘Chants de bataille’ et le live ‘Tout au Tour’) en cinq ans et une tournée intensive, le quatuor a décidé de s’imposer une pause. Et dans l’intervalle, Christophe Mali s’est lancé dans l’enregistrement de son deuxième album solo intitulé ‘Humain’. Un disque très personnel dans lequel il évoque des sujets touchant à l’intime tel que le divorce de ses parents, sa bisexualité, son lien avec son frère ou encore l’amitié, non sans une touche d’humour.
C’est donc à l’occasion de cette sortie que nous avions prévu de se rencontrer sur une date de sa tournée le menant en Finistère. Malheureusement, le calendrier en a voulu autrement. Mais qu’à cela ne tienne ! Nous avons finalement pu échanger par téléphone pour évoquer la genèse de ce disque touchant à tant de niveaux. Il est alors presque dix heures un matin d’avril quand de l’autre côté du fil, Christophe Mali boit son café pas très loin des plages de Berck-sur-mer, sur la côte d’Opale, où il vient souvent en famille. Comme un certain Alain Souchon. Pendant une trentaine de minutes, il m’a dressé son portrait, celui d’un artiste, d’un musicien mais aussi d’un père de famille, d’un frère, d’un ami. Un portrait on ne peut plus humain.
The Morning Music : Tryö va bientôt célébrer ses 30 ans cette année mais une pause s’imposait avant de fêter cet anniversaire...
Christophe Mali : Oui, on a vécu beaucoup de choses entre la tournée des 25 ans, le Covid, l’album (‘Chants de bataille’, ndlr). L’idée de faire une pause est venue assez naturellement, on a tous ressenti ce besoin c’est vrai.
TMM : Après ‘Je vous emmène’ paru en 2006, tu reviens avec un deuxième album solo intitulé ‘Humain’, pourquoi avoir choisi ce titre ?
Christophe Mali : C’est le mot générique qui rassemblait toutes les idées que je voulais aborder sur cet album. La chanson Derniers humains a été le point de départ en quelque sorte. C’est un album assez personnel dans lequel je reviens sur mon parcours, mon passé, ma famille. Chose que je n’avais pas trop faite en groupe finalement. C’est l’une des raisons pour laquelle je voulais sortir ce disque et l’humain me semblait être une caractéristique qui pouvait allier le personnel, l’intime et l’universel. C’est le parcours de toutes les générations qui est par la même occasion représenté par un enfant sur la pochette.
TMM: Et oui, sur la pochette de l’album tu poses avec ta fille, une manière d’évoquer les rapports humains sous le prisme de la parentalité ?
Christophe Mali : Oui, c’est exactement ça. Tout comme le fait de se dire qu’à un certain âge, on se tourne vers la jeunesse. C’est une manière de réaliser une passation et d’évoquer certaines valeurs avec mes enfants mais aussi avec cette génération qui arrive qui va reconstruire le monde, je l’espère, sans garder les mêmes blessures que nous avons pu avoir. J’ai plusieurs enfants mais j’ai choisi de mettre la petite dernière sur la pochette. Quand je la regarde, j’ai l’impression de voir une horloge avec une grande aiguille et une petite aiguille. C’est mon interprétation complètement barrée (rires).
TMM : Comment as-tu abordé l’écriture de ce disque très personnel et plein de poésie ?
Christophe Mali : J’ai commencé cet album avec l’optique d’écrire sur des thèmes que je n’abordais pas, ou peu, avec Tryö. Je voulais quelque chose de plus intime, je voulais oser parler de moi-même, de ma famille. Je pense qu’à un moment donné, le personnel et l’intime peuvent avoir une portée universelle et c’est ça qui m’intéressait. J’avais donc des textes qui n’attendaient que des mélodies. Je n’arrivais pas à en mettre parce que ça me touchait trop. Je suis donc allé à la rencontre de compositeurs et amis avec qui j’ai fais des sessions et j’ai adoré ça. D’un mot ou d’un bout de texte sont nées des chansons qu’on a construit à quatre, à huit et même à douze mains pour la dernière de l’album. Ça m’a permit d’ouvrir de nouvelles portes parce qu’après trente ans à composer des chansons, j’avais l’impression de tourner en rond et d’écrire toujours les mêmes mélodies. Le fait de m’entourer de nouvelles personnes et de nouvelles inspirations, ça m’a permit de me surprendre dans ma manière de créer.
TMM : C’est vrai qu’on se demande parfois comment, après un siècle, on réussit encore à créer de nouvelles mélodies avec une guitare…
Christophe Mali : C’est fou ! Cela passe par balayer le syndrome de l’imposteur de son esprit . En se disant que de toute façon, on n’inventera rien de nouveau. Il faut oser faire preuve de simplicité parfois, écrire sur des accords qui ont déjà été utilisés un nombre incalculable de fois, sans se brider parce que le risque, c’est de ne plus réussir à composer une seule note.
TMM : Tu l’as déjà évoqué mais tu traites de thèmes variés dans cet album où pour la première fois tu vas plus en profondeur. Tu y parles de ton enfance, de ta famille et notamment de ton frère dans la chanson Enfant doré, de la position d’un enfant dans une fratrie. C’est quelque chose que tu as vécu…
Christophe Mali : Dans l’ensemble des chansons, il y a une part de fiction mais aussi une grosse part d’autobiographie et dans celle-ci plus particulièrement. Cette position de l’enfant doré, celle de l’enfant préféré, on la découvre à l’âge adulte. Quand on est enfant, on est trop petit pour détester l’autre ou pour s’en vouloir de prendre toute la place. Je pense que la parentalité y joue parce que quand on devient parent, on commence à penser à son passé pour éviter de reproduire les mêmes choses. Mais c’est un sujet que j’ai réglé depuis un petit moment déjà. Il est très rare d’évoquer le sujet de l’enfant préféré dans une famille. Et en chanson encore plus. Depuis qu’elle est sortie, j’ai reçu énormément de messages de gens qui s’y retrouvent ou qui s’en servent pour en parler autour d’eux.
TMM : Tu évoques également le divorce de tes parents dans A quoi ça sert, de cette génération de couples qui restaient ensemble contre vents et marées, pour préserver leurs enfants, même si au fond ils n’étaient plus heureux. A quoi ça sert traite de ce paradoxe.
Christophe Mali : C’est vrai que la génération de nos parents, ou de nos grands-parents, avait cette pression sociale et familiale qui impliquait de rester ensemble coûte que coûte pour les enfants. Ça correspondait à une vision de la psychanalyse vis à vis du bonheur de l’enfant qui était différente de celle d’aujourd’hui. On a beaucoup évolué là dessus, même si je ne sais pas si on a raison sur tout. Beaucoup d’enfants ont souffert de savoir que leurs parents restaient ensemble pour eux, sans parvenir à mettre des mots dessus. C’est bien plus tard que l’on comprend le sens de cette souffrance, que l’on porte quoiqu’il arrive. J’avais envie d’aborder cette thématique parce qu’elle fait partie de ma vie et parce que je pense qu’elle peut parler aux gens. A quoi ça sert évoque donc mon papa et les plages de Berck que je décris. J’y viens souvent souvent en famille et l’idée de cette chanson revenait sans cesse depuis longtemps. Elle évoque un lieu, un sentiment mais aussi un message que je voulais faire passer à mes parents. Leur dire que je vais bien mais que je n’étais pas dupe.
TMM : Est-ce que tu savais que tu voulais qu’Alain Souchon y pose sa voix quand tu l’as écrite ?
Christophe Mali : Pas du tout. Quand je l’ai écrite je voulais surtout évoquer les plages de Berck qu’Alain a aussi décrit dans la chanson Le baiser. C’est une sorte de clin d’oeil quand je dis « sur la longue plage de Bercq, au Touquet, Souchon planait« . A chaque fois que je viens ici, en voyant ces grandes plages, je pense à sa chanson que je trouve magnifique. C’est quand je suis entré en studio que j’ai songé à Alain pour qu’il vienne finir le morceau. A cette période, il ne souhaitait pas faire de duo mais je l’ai convaincu en lui disant que c’était juste une simple apparition. Le fait que ce soit assez intime, que cela parle de séparation, de toute cette génération de parents, ça lui parle beaucoup aussi. C’est un honneur d’avoir Alain sur l’album avec moi.
TMM : On retrouve son influence un peu partout dans ce disque, que ce soit dans la musicalité ou dans le choix des mots, je pense par exemple à Ça nous gêne.
Christophe Mali : Il y a effectivement plusieurs références à Alain Souchon, dont je suis un grand fan, dans les mots et les expressions. Quand on part sur un disque, on a souvent des références en tête. Sur mon premier album solo, j’étais inspiré par le disque ‘Tombé du ciel’ de Jacques Higelin. Je voulais quelque chose d’extrêmement joyeux, de solaire et de fourni avec beaucoup de sons différents, que ça déborde. Pour ‘Humain’, la référence c’était vraiment Souchon et notamment sa période ‘C’est déjà ça’. Je souhaitais quelque chose d’assez caressant, de doux, un mélange de nostalgie et de gaité.
TMM : Tu n’es donc pas tout seul dans cet album puisqu’on retrouve aussi Lucie de L.E.J. dans Derniers humains, une chanson dystopique dans laquelle on suit deux personnes qui survivent à la fin du monde mais qui comptent bien profiter de cette situation. C’est un titre engagé mais aussi positif.
Christophe Mali : Oui c’est vraiment un message d’espoir parce qu’on n’arrête pas de dire que le monde part à vau-l’eau. Et c’est vrai qu’on peut avoir peur quand on regarde les infos avec le réchauffement climatique et la montée des populismes. Ce qui nous intéressait dans cette chanson, c’était d’imaginer ce monde détruit où seules deux personnes avaient survécu et qui, fort de tout ce passé chaotique, avaient l’envie de reconstruire et de repartir de zéro. C’est l’histoire d’une renaissance, de la possibilité d’une renaissance après l’apocalypse. Et j’avais envie de cette représentation d’un Adam et Eve des temps modernes d’où le duo avec Lucie, avec l’idée de se dire que c’est possible d’être optimiste parce que ce n’est pas chose facile aujourd’hui.
TMM : On a longtemps eu un discours sur l’écologie très alarmant, et à juste titre parce que le sujet est grave. Mais à être trop négatif, le message ne passe pas toujours. En parler d’une manière plus positive comme tu le fais, c’est plus impactant et cela permettrait peut-être de rassembler les gens autour de cet engagement.
Christophe Mali : Peut-être, je n’en ai pas la certitude mais c’est ma manière de penser en tout cas. Est-ce que ça peut fonctionner, est-ce que c’est plus impactant, je ne sais pas. L’histoire nous le dira finalement.
TMM : Tu te confies aussi sur ta sexualité dans A voile à vapeur, il y a quelque chose de cathartique dans cette mise à nu que tu opères à travers ‘Humain’ ? C’est encore difficile d’en parler ?
Christophe Mali : C’était beaucoup plus difficile de parler d’homosexualité ou de bisexualité il y a trente ans. Les langues se sont déliées sur ce sujet là depuis. Avec Tryö, on a évolué dans le milieu du reggae qui est très homophobe. Les gens ne le savent pas forcément. J’ai écris une chanson là dessus d’ailleurs qui s’appelle Brian Williamson pour dénoncer ça.
TMM : Où les paroles disent « Brian Williamson, être homosexuel à Kingston« …
Christophe Mali : Oui c’est une thématique que j’ai déjà abordé. Maintenant ça a changé. On a dénoncé tous ces chanteurs qui derrière leurs tatouages jamaïcains tenaient des propos absolument scandaleux envers les homosexuels. Aujourd’hui les masques sont tombés et je pense que le fait d’écrire une chanson là dessus, c’est devenu un non-sujet. On peut en parler beaucoup plus qu’avant, cela fait partie de la société. Il y a encore des agressions et c’est toujours difficile de vivre sa sexualité pleinement, que ce soit en ville ou dans la cité. Mais ça fait partie de la vie, de moi, des gens qui nous lisent. Pour autant, la bisexualité est évoquée beaucoup plus chez les femmes que chez les hommes. C’est comme si on ne faisait pas partie d’un camp finalement. On n’appartient ni au camp des hétéros ni à celui des homosexuels. Du coup les deux camps nous regardent un petit peu comme des traitres. C’est ce qu’on ressent quand on vit sa sexualité, c’est de savoir que l’amour n’a pas de frontière. Que tout peut arriver, que le champ des possibles est très grand.
TMM : On dit souvent qu’on ne choisit pas sa famille mais qu’on choisit ses amis, même quand ceux-ci sont des boulets ?
Christophe Mali : Est-ce qu’on se le dit vraiment ? Non, parce finalement les amis sont des gens qu’on aime quoiqu’il arrive. On les prend comme ils sont. La puissance de l’amitié, c’est le sens de cette chanson. On sait que les gens ont des défauts, qu’ils peuvent partir en sucette, nous agacer. On connait tous des gens comme ça qu’on aime beaucoup mais qui, à chaque fin de soirée, après deux ou trois verres de trop, nous embêtent à nous raconter en boucle toujours la même histoire. C’est ça aussi l’amitié en fin de compte. J’ai tout fait pour que ça ne soit pas une chanson de moquerie. Au contraire, j’ai voulais transmettre quelque chose de solaire, d’extrêmement drôle et fraternel. Le boulet, tu le rappelles toujours parce que c’est ton ami, tout simplement.
TMM : C’est une chanson qui rappelle Désolé pour hier soir dans la sonorité, dans le côté joyeux et décalé.
Christophe Mali : Oui c’est ça, il y a un côté un peu sketch dans cette chanson qu’on peut retrouver dans Désolé pour hier soir. Pour le coup on est très loin du côté Souchon. J’ai longuement hésité à la mettre sur l’album, comme Toute la vérité d’ailleurs. Ce sont des chansons joyeuses, solaires, voire même un peu potache. On est très loin de ce qu’on a évoqué plus tôt. Et on les a mise parce que je ne suis pas encore prêt à faire un album qui soit dans une seule et même couleur. J’aime bien les chocs thermiques, passer du chaud au froid. Et donc on passe de A quoi ça sert une chanson intime qui parle du divorce avec Souchon, à une chanson humoristique comme Le boulet. Ce choc thermique, ce relief là, ça fait partie de ma personnalité. Donc j’avais envie de le rendre tel quel sur l’album, même si à des moments ça peut paraitre un peu abrupt j’en ai conscience.
TMM : Ça permet aussi de faire le lien entre ton univers chez Tryo et cet album là qui est plus personnel.
Christophe Mali : Oui, c’est sûr. Ça crée des ponts, tout simplement parce que je suis quelqu’un de très sincère. Je peux être ce mec qui va faire la fête jusqu’à tard, être second degré et qui le moment d’après va parler de choses plus profondes. Ça fait partie de moi et c’est pour ça que les deux couleurs se retrouvent sur l’album.
TMM : Tu es reparti en tournée avec ce disque, qu’est-ce que la scène t’apporte en tant qu’artiste ?
Christophe Mali : Si je fais des chansons, c’est pour partir sur scène. J’aime bien être en studio mais ça dure deux semaines, c’est très court. Une tournée s’étale sur un an, voire plus, et c’est ce que j’aime le plus. Ce que ça m’apporte, c’est de pouvoir redécouvrir les chansons qu’on a écrit seul en les chantant sur scène. C’est complètement magique, vraiment. Sur scène, les chansons viennent nous faire comprendre que ce qu’on croyait vouloir dire dans une chanson va plus loin que ça. On retrouve aussi l’interprétation et l’improvisation sur scène. Il n’y a aucun soir qui se ressemble, que ce soit par rapport à la setlist, à la manière d’être, au contexte. C’est un vrai plaisir. On vient de terminer la première partie de la tournée où nous étions deux sur scène avant la saison des festivals où nous allons passer à trois. Musicalement, ce sera plus musclé. Et on prépare la troisième partie de la tournée qui va commencer en septembre où là on va proposer un vrai spectacle avec une scénographie qui racontera vraiment une histoire.
TMM : Peut-on espérer une tournée des 30 ans de Tryo après celle des 25 ans ?
Christophe Mali : On sait que les 30 ans arrivent en 2026, on en parle, mais pas de manière très active parce qu’on ne peut pas annoncer de dates pour le moment. On ne sait pas encore si ce sera une tournée, une date événement, un nouvel album ou juste un ou deux morceaux. Pour l’instant, on se concentre sur nos projets et je pense que c’est très important.
TMM : C’est ça, finalement, le secret de la longévité, de s’accorder du temps pour faire autre chose ?
Christophe Mali : Oui, le secret c’est de pouvoir se laisser des espaces de liberté. On a réussi à tenir tout ce temps avec les mêmes membres, même si Manu est parti mais il pourrait revenir pour les 30 ans. Comme dans un couple ou une relation amicale, il faut savoir s’arrêter pour laisser revenir le désir. Et quand il reviendra très fort, on repartira et ce sera magique. Après, comme dans tous les métiers, il faut parfois repartir pour des questions financières ou pour des raisons qui ne sont pas intrinsèques à notre désir. Je pense qu’avec Tryö, on a toujours su se donner cet espace de liberté, sans date de retour précise. Ça nous permet de vivre autre chose à côté et de prendre le temps. Ce n’est pas le luxe de tous les artistes de se le permettre. Mais on se doit bien d’être sincères par rapport à notre désir et notre envie.
Derniers humains (Frenchy/PIAS), le nouvel album de Christophe Mali, est disponible chez les disquaires et sur toutes les plateformes.