Walter Astral : « Nos chansons sont centrées sur des éléments naturels résonnant avec des problématiques humaines »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’univers de Walter Astral est tellement atypique qu’il interpelle dès les premières secondes. Il faut imaginer ce personnage comme un explorateur céleste, arpentant des mondes parallèles en traversant des trous de ver cachés dans des séquoias géants. Il rencontre sur son chemin des hommes-bougies, des sorcières et des druides qui l’accompagneront au cours de sa quête mystique. Walter Astral, c’est le duo que forment Tristan Thomas et Tino Gelli. Leur deux mondes musicaux a priori éloignés vouent le même culte pour l’onirisme et l’absurde et s’harmonisent dans leurs transes mystiques. La musique de Walter Astral, c’est la rencontre de la pop psychédélique avec l’univers de la techno et de l’acid. A l’occasion de la sortie de leur EP intitulé ‘Jour’ et de leur concert au Trabendo le 7 mars, j’ai pu poser quelques questions au duo pour en savoir plus sur leur univers et leur projet.
The Morning Music : Comment est né Walter Astral ?
Tino : Alors le projet est né pendant le deuxième confinement.
Tristan : Oui, on s’est retrouvé un soir à Paris entre les deux confinements. Et nous n’étions pas en très grande forme tous les deux. J’ai alors proposé à Tristan de venir chez mon père, où j’avais installé un petit studio de fortune, pour faire une semaine de jam. Mais la première fois qu’on s’est rencontré c’était à Berlin il y a 10 ans. Nous avons beaucoup d’amis musiciens en commun, nous suivions les projets de l’un et de l’autre, sans encore avoir fait de la musique ensemble jusque là. Donc Tino est venu à la maison et a été très vite accepté par ma famille.
Tino : je suis vite rentré dans les meubles (rires).
Tristan : De là, nous avons commencé à faire des sons, le deuxième confinement est arrivé et on ne s’est plus arrêté. Nous avons vécu ensemble pendant presque six mois et le projet Walter Astral est né après ce temps passé ensemble.
TMM : Vous présentez Walter Astral comme un druide, un être céleste, pouvez-vous me parler de ce personnage ?
Tino : Il n’y a pas de représentation physique pour le moment mais on se l’imagine avec une belle barbe, des cheveux longs et un chapeau. C’est plus une idée qui fait avancer le projet avec une part de magie, de druidisme, de nature. Quelque chose d’un peu céleste et absurde.
Tristan : Walter Astral pourrait être le grand patron de l’univers que nous sommes doucement en train d’imaginer avec plein de créatures. C’est lui qui nous en a donné les clés et qui nous permet de nous y balader sous son prisme.
TMM : Quelle part de vous se cache derrière lui ?
Tristan : Je pense qu’on parle beaucoup de ce qui se passe dans notre tête, le mental, les humeurs et les sentiments. C’est l’endroit où on est le plus à nu quand on en parle et ça marche pour nous deux. Walter Astral transmet des messages très personnels que l’on veut diffuser même si on a un univers qui nous amuse beaucoup et nous rassure.
Tino : Il y aussi une part spirituelle qu’on a tous les deux. On est attaché à ce délire là, bien qu’il soit intérieur, c’est quelque chose qu’on met dans ce projet.
Tristan : Les thématiques de nos chansons sont justement centrées sur ces éléments très naturels qui résonnent avec des problématiques très humaines.
TMM : Comment on vient à parler de druides, d’hommes-bougies, de séquoias géants ?
Tino : On a construit ce projet dans une maison à la campagne. On était dans cet état d’esprit de druide qui régissait notre vie. On avait notre buisson sacré où on allait chercher notre bois pour faire notre feu qui nous réchauffait et nous permettait de faire de la musique. Nous étions dans notre univers et nous avons avons commencé à concevoir ce projet. Avec Tristan, on a toujours eu des délires un peu barrés, c’était déjà le cas dans chacun de nos univers personnels d’ailleurs. Walter Astral était vraiment l’occasion pour imaginer et créer un univers fantastique avec des hommes-bougies, des séquoias sacrés.
Tristan : Toute cette idée est venue de ce petit dessin que tu as fait. On ne sait même pas ce qu’on en a fait d’ailleurs.
Tino : Oui, c’est vrai on l’a perdu.
Tristan : Il avait commencé à dessiner un grand séquoia et on a mis une étoile dedans. Puis on s’est dit qu’il pourrait y avoir des hommes-bougies. C’est un petit croquis dans lequel il y avait tout notre univers. On savait que c’était ça qu’on voulait faire. Je me souviens vraiment de ce moment où on l’a créé et par la suite on a carrément fait un clip sur l’homme-bougie, sur lui et son voyage à travers le corps humain pour amener les émotions et la flamme de l’amour. Finalement on va vraiment jusqu’au bout de notre délire (rires).
TMM : Votre musique est un savant mélange de musique organique et électronique, entre rock psychédélique et techno, quel est le secret de votre potion ?
Tino : Je dirais la campagne encore une fois, la nature.
Tristan : Oui, c’est un cadre qui nous permet de nous plonger dans cet état d’esprit là. On n’a jamais réussi à faire de la musique dans nos appartements à Paris, tous les deux en tout cas. On y commence à faire des démo, à avoir des idées bien sûr mais le moment où se retrouve dans cet endroit où il y a ce poêle. C’est un lieu qui nous inspire, on s’y sent bien. C’est peut-être ça le secret de la potion.
Tino : Il y a aussi le fait qu’on ne recherchait pas à reproduire un son en particulier. On était vraiment en recherche d’un truc qui n’existait pas. C’était très étrange, on commençait des chansons sans vraiment savoir où ça nous menait. Il y avait ce côté mystérieux.
TMM : Comment vous est venue l’idée de fusionner ces genres musicaux à priori très éloignés ?
Tristan : C’est venu très naturellement. On avait envie de faire quelque chose d’électronique très nerveux et d’un seul coup mélanger ce son avec des guitares folk nous a semblé intéressant. On s’est dit que ça pouvait marcher et on y a cru. Mais c’est vrai que c’est particulier, en prenant du recul, de se dire qu’on va mettre des grosses drum machines avec des guitares acoustiques. Je trouve qu’on a réussi à trouver notre propre son.
Tino : Oui et on commence à avoir l’instinct naturel à force d’avoir produit beaucoup de morceaux.
Tristan : C’est vrai qu’on commence à avoir quelques habitudes. Avant c’était le grand brouillard, on ne savait pas où on allait, maintenant on commence à réutiliser des choses qui marchaient bien, on teste.
TMM : Les éléments sont au cœur de votre musique, notamment dans votre EP ‘Hyperdruide’, quel lien vous entretenez avec la nature ?
Tino : On est des parisiens donc c’est peut-être quelque chose qui nous a toujours manqué. Petit, j’aimais regarder les petites plantes qui pousse à travers les pavés, je trouvais ça beau. C’est bête mais on se raccroche à plein de petits détails.
Tristan : C’est aussi fou quand on est à la campagne de se rendre compte à quel point le temps est plus lent. On profite de beaucoup plus de choses. Mais notre rapport à la nature est assez commun, nous sommes nombreux à pouvoir apprécier ce temps un peu plus suspendu. C’est un moment qui me ressource beaucoup. Mais en tant que parisien, c’est vrai qu’on n’est pas toujours en train de se balader dans la forêt, ou à profiter du coucher et du lever de soleil, c’est quelque chose qui est compliqué de voir à Paris.
TMM : Vous avez sorti ‘Jour’, votre nouvel EP il y a quelques semaines, dans lequel on retrouve votre côté très mystique avec des titres psychés comme Mirage. Comment s’est passé l’élaboration de ce maxi ?
Tristan : Après la sortie de ‘Hyperdruide’, on faisait beaucoup de concerts et dès qu’on avait un peu de temps, on allait dans cette fameuse maison de campagne. On travaillait sur un morceau, on enregistrait et on repartait. Pendant ce temps là, le morceau avait le temps de mûrir et on revenait dessus quelques temps après. On construisait les morceaux sans avoir de concept ou sans savoir quelle allait être la suite de notre aventure. Et d’un seul coup tout s’est aligné. On a décidé de faire un album concept, et de réunir deux EP, ‘Jour’ qui vient de sortir et ‘Nuit’ qui sort à l’automne, dans un seul et même album qui s’appellera ‘Éclipse’. Les morceaux que l’on avait déjà rentraient dans la thématique de ‘Jour’ et ça nous a ouvert les portes pour en créer d’autres qui se répondaient. Et à ce moment là, on savait où on allait.
TMM : Vous avez pu tester les morceaux en live avant de les enregistrer ?
Tristan : Oui, on a pu voir le potentiel de ceux qu’on avait terminé. Et il y en a qui sont encore en cours de travail qu’on présente en live. Cela nous permet même de découvrir des parties qu’on a envie de garder sur l’enregistrement.
Tino : C’est chouette de pouvoir faire ça. Très vite, on nous a demandé de faire des concerts plus long. On avait sorti qu’un seul EP, soit cinq chansons, et on devait faire des concerts d’au moins 45 minutes. De pouvoir présenter en live les chansons qu’on composait c’était chouette et ça nous a permis aussi de tester le potentiel de ces chansons.
TMM : ‘Jour’ s’ouvre avec le long instrumental Aube où on retrouve des sonorités très vastes, des éléments naturels se mélangeant à des guitares acoustiques rappelant l’Amérique du Sud de Gustavo Santaolalla et des violons nous amenant en Arabie, des sons aussi plus électros. Qu’est-ce que ce morceau évoque ?
Tino : il faut s’imaginer que Aube ouvrira aussi notre album ‘Éclipse’. C’est une grande introduction vers tout ce qu’on va raconter, tout ce qu’on va toucher. Même musicalement, ce morceau effleure tous les thèmes, tous les styles qu’on va aborder dans l’album. Et puis on a essayé de raconter ce moment magique qui est l’aube. Ce moment où, soit tu te couches, soit tu te lèves. C’est un moment très spécial entre les deux, très visuel. C’est comme pour les éléments, on est arrivé très facilement à la synthétiser en musique avec différentes parties, des mouvements.
Tristan : On a pris du temps à le faire mais dans un seul élan. Pour le coup celui-ci n’a pas été enregistré à plusieurs moments d’intervalle. Le son de drone que l’on entend au tout début provient d’un bug de synthé qui a donné cette note en boucle et Tino a commencé à improviser à la guitare par dessus. De là, on avait déjà une atmosphère qui nous plaisait. Après on a imaginé le soleil qui se lève et qui amène une énergie qui commence à grandir. Puis vient le moment où le soleil sort vraiment ses rayons, moi ce que j’imagine en tout cas, c’est que les violons représentent les premiers rayons du soleil. Le morceau prend une tournure plus énervée. C’est presque l’énergie de la ville que l’on ressent, celle des humains qui d’un seul coup reprennent leur activité, le temps s’accélère. C’est un peu ce voyage là, le début du jour.
TMM : On y retrouve une autre chanson, Serpent mental. Qu’est-ce qu’un serpent mental ?
Tristan : C’est une terrible créature qui est au fond de chacun de nous qui vient tout le temps nous encombrer le cerveau et nous laisse une idée qui tourne en boucle dont on n’arrive pas à se dépêtrer. Le serpent mental adore ça, il se nourrit de ça.
Tino : Il apparait souvent entre 1h et 3h du matin quand tu es dans ton lit et que tu essayes de dormir. Et il peut venir en studio aussi des fois, au travail de manière générale.
Tristan : Oui, c’est ça, il est présent dans la vie de tous les jours. Et même si être submergé par le serpent mental, c’est chiant (rires), dans ce morceau il y a une partie qui dit que demain tout ira bien. C’est une sorte de petit mantra qui me faisait du bien et dont j’avais besoin de me rappeler en me disant : ne t’inquiète pas, tu es dans la machine à laver de l’angoisse, mais en vrai ça finit toujours par s’apaiser. Tu pourras regarder cette période avec du recul et en sortir grandit. Il reviendra toujours mais de moins en moins fort parce que on aura appris plein de choses.
TMM : Comme on l’a évoqué, ‘Jour’ sera suivi de ‘Nuit’ d’ici quelques mois, en quoi les deux se diffèrent en termes d’ambiance et de sonorités ? Et pourquoi ne pas avoir choisi de sortir ‘Éclipse’ directement ?
Tino : Pour des raisons pratiques, on avait pas envie de sortir un très gros album sans rien produire pendant un an ou deux.
Tristan : Oui, on ne voulait pas complètement disparaître. Ça nous prend du temps de sortir des morceaux, car même si parfois ils sont terminés très rapidement, il y a tout un processus qui est long et au milieu des concerts, c’était compliqué. On aurait pas réussi à être là, on avait vraiment envie de donner ces morceaux au public et de commencer à les jouer en live en plus.
Tino : Et ça fait sens pour nous. Le jour, la nuit, l’éclipse. On aimait l’idée de faire répondre les deux univers, d’avoir plusieurs parties, c’est assez original.
Tristan : Il y avait quelque chose qui nous amusait dans ce concept. C’était l’occasion de faire des visuels et des univers complètement différent pour chacun des EP. Du coup, quand l’album sortira, il y aura deux parties qui auront déjà du vécu et on proposera des versions un peu différentes de certains morceaux en comparaison à l’EP. Il y aura des interludes aussi, c’est encore un travail en cours.
TMM : Vous avez été repérés par les Inouïs, le Fair, quel impact ces deux dispositifs ont eu sur votre carrière ?
Tristan : Énorme, le concert qu’on a fait aux Inouïs était le tout premier qu’on est jamais fait. On avait seulement écrit l’EP et on a répété pendant un mois en se demandant ce qui allait se passer. Et c’était un concert incroyable, on en garde un très bon souvenir, les retours étaient supers. Cette aventure nous a propulsé dans le monde de la musique. Pour ma part je ne savais pas comment ça fonctionnait. Et c’est grâce à cette aventure qu’on a aussi rencontré nos partenaires. Tout s’est fait à ce moment-là. C’était incroyable.
Tino : Oui, c’est un vrai tremplin dans une carrière.
Tristan : Et une vraie aventure humaine aussi. On a rencontré beaucoup de musiciens qui était dans la même étape de leur carrière que nous, tous dans des styles différents mais avec les mêmes problématiques et les mêmes envies. C’est cool, on a la sensation de se retrouver comme dans une colo avec des gens qui veulent vivre la même chose que nous. Et plus récemment, avec le fair, on a rencontré des humains vraiment géniaux. On se sent comme dans une famille. Et encore une fois les artistes qu’on a rencontré nous ouvrent des portes en terme de créativité.
TMM : Vous avez rempli la Maroquinerie, fait déjà plusieurs grands festivals, vous vous produisez au Trabendo en mars, comment vivez-vous cette popularité naissante ?
Tino : On ne se rend pas vraiment compte je crois.
Tristan : Oui, on a on a tellement la tête dans le guidon. Mais ça fait plaisir. Quand on prend du recul, on se dit que c’est de la folie.
Tino : C’est très agréable de sentir qu’il y a des gens qui viennent nous voir en concert et qui nous envoient des messages de soutien quand on sort un morceau ou un EP. C’est incroyable de savoir que notre musique parle à autant de monde. Mais c’est vrai que je ne réalise toujours pas, et tant mieux d’ailleurs.
TMM : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaitez pour la suite ? L’Olympia ?
Tino : Terminer notre album déjà, partir en tournée et puis je crois qu’on aura besoin de vacances après. Mais oui on peut nous souhaiter un Olympia, je suis chaud.
Tristan : Oui, des vacances pour revenir avec plein d’énergie et prêt pour la suite. Et puis la santé aussi quand même, c’est aussi simple que ça, une santé bien béton moi je prends.
Tino : Attends on parle d’un Olympia, c’est bon à prendre ça aussi.
Tristan : Un Olympia, c’est bon pour la santé. Mais surtout ce qu’on veut, c’est de continuer à s’amuser !
L’EP ‘Jour’ déjà disponible, en concert au Trabendo le 7 mars 2024.