Guiz : « J’ai vraiment pu me faire plaisir en écrivant cet album »
Il est l’un des membres du groupe Tryö, l’auteur de chansons telles que L’Hymne de nos campagnes, Watson ou Toi et moi, connu pour son engagement pour l’écologie. Après avoir arpenté les routes avec ses amis Christophe Mali et Manu Séveno pendant presque trente ans, Guiz profite d’une pause du groupe pour sortir son premier album solo intitulé ‘Utopia’. Réalisé par Martin Laumond, il est à l’image de son auteur : plein d’optimisme et de combats. Plus qu’un disque, c’est un véritable guide pour un monde plus juste et respectueux des hommes et de la nature.
C’est à cette occasion qu’un vendredi matin d’hiver, je me suis rendu au studio de la chouette situé près de Rennes, là où tout a commencé. Les gars de Tryö, Sinsémilia, les Ogres de Barback y ont enregistré certains de leurs morceaux. Il est presque midi lorsque je franchis le portail du gîte où s’affairent Guiz et Manu, jamais très loin de son vieux pote malgré son départ de Tryö en 2019. Le temps de trouver un coin au calme et pendant une demi-heure nous abordons des sujets aussi variés que passionnants : l’écologie, la scène musicale rennaise, l’IA, la parentalité, … Rencontre avec l’une des voix qui accompagne notre quotidien depuis trois décennies.
The Morning Music : On te connait bien évidemment comme l’un des membres de Tryo mais ta carrière a été ponctuée de nombreuses collaborations, je pense à Pause et Désert Rebel notamment.
Guiz : Exactement, le Collectif 13 aussi !
TMM : Cette année tu sors ‘Utopia’, ton premier album solo, quel a été le point de départ de cette aventure ?
Guiz : Plusieurs petites choses. D’abord, cela faisait trente ans que je jouais dans Tryo et il y avait une volonté commune de faire une pause. Christophe a annoncé vouloir enregistrer un album de son côté et ça a été le déclencheur. Je me suis dit pourquoi pas moi aussi me lancer en solo. Mes amis et ma famille me poussaient également dans ce sens. J’avais des chansons comme Lover qui trainaient dans des placards depuis dix ans, que j’ai proposé à Tryo, mais qui n’ont pas été gardées. Et donc je me suis mis à écrire. Je me suis rendu compte au final que c’était ce que je voulais faire : écrire mes chansons comme je le souhaitais sans avoir à rendre de compte. Trente ans de groupe, c’est beaucoup de concessions et de compromis donc cette idée d’aller à l’inverse de ça était assez stimulant.
TMM : Cet album sort sous le nom de Guiz, c’était donc l’occasion pour toi de réaliser un projet plus personnel tout en étant complètement libre, sans faire le choix de créer un nouveau collectif par exemple.
Guiz : Tu sais, le collectif existe déjà. On est justement en train de parler de le reformer d’ici deux ou trois ans. Non, là j’avais vraiment envie de faire quelque chose de nouveau. Il n’empêche que je me suis tout de même entouré de gens au final. J’ai travaillé avec Martin, le remplaçant de Manu dans Tryö, pour la réalisation de l’album mais aussi avec DJ Ordoeuvre qui faisait partie du Collectif 13, Manu mon vieux pote avec qui je fais de la musique depuis mes débuts. J’ai voulu faire un disque qui me corresponde à tous les niveaux, que ce soit dans le rythme de création ou la manière dont on va porter le projet en live. Je me suis donné le temps pour faire les choses différemment, par pur plaisir. C’est une vraie chance d’avoir eu cette histoire avec Tryo et de pouvoir réaliser ce projet sans que cela devienne un challenge.
TMM : Musicalement, c’est aussi un album qui te ressemble. Il y a dans tes projets et tes collaborations une ADN qui est autre que celle de Tryo, plus rythmée.
Guiz : C’est sûr, j’allais parler du rock, de la musique électro, du hip-hop, des univers musicaux que j’adore et qu’on avait un peu survolé avec Tryo. J’ai vraiment pu me faire plaisir. Chaque morceau a été coloré sans se poser de questions vis à vis d’un concept ou d’une esthétique unique.
TMM : Tu as parlé des artistes que tu as invité sur l’album et parmi eux figure TeKeMat qui est issu de la scène musicale rennaise.
Guiz : On se connait depuis bien longtemps avec eux. Ils m’ont envoyé ce morceau (Comme il est, ndlr) parce qu’ils voulaient qu’on fasse une collaboration pour leur prochain album et j’ai tout de suite accroché. J’aime bien cet univers afro et ce rythme ternaire. Ça m’a rappelé mes expériences avec les touaregs dans Désert Rebel. Et alors qu’on était en pleine réalisation du disque, ils m’ont contacté parce qu’ils cherchaient une chanteuse africaine. J’avais rencontré l’artiste sénégalaise Mariaa Siga un an plus tôt avec qui j’étais resté en contact et je les aies mis en relation. Martin a écouté la version finale et il était vraiment emballé pour le mettre sur le disque. Donc au final, Comme il est va sortir sur nos deux albums respectifs.
TMM : C’était important pour toi de mettre en lumière cette scène locale à travers ‘Utopia’ ?
Guiz : Carrément ! On se tourne autour depuis longtemps, on se côtoie dans les concerts. C’était presque une évidence quand ils m’ont appelé. J’ai récemment enregistré un morceau avec Outrage, d’autres avec les copains de Tagada Jones. Et là j’embauche le musicien rennais Dan Voisin à la batterie qui joue dans Huush et dans Eighty pour la tournée.
TMM : Il ressort d’Utopia un album empreint de positivité qui fait du bien, à l’image de la chanson titre de l’album qui appelle à « ranger la colère » pour prendre soin de notre planète. Plus qu’un appel à rêver, on y découvre une sorte de langage commun pour évoquer l’écologie de nos jours.
Guiz : C’est marrant que tu dises ça parce que j’étais à la Réunion quand le morceau est sorti et j’y ai rencontré des gens qui se lancent dans l’agriculture biologique, qui plantent des arbres et repensent leur mode de vie. Ils ont écouté le morceau et ils m’ont dit « c’est nous en fait, ça nous parle, on a envie que le monde change, de rêver, de laisser à nos gosses de l’espoir ». Même s’il y a des morceaux qui parlent de la montée de l’extrême droite, comme Carnaval qui sont un peu rentre-dedans, il y a toujours eu dans ma manière d’écrire et de vouloir porter la musique cette volonté d’optimisme, de rêver. Tu parlais de rêve, ce titre est la synthèse de l’album. C’est pour ça que je l’ai appelé ‘Utopia’, pour cette génération qui arrive pour qui c’est compliqué de rêver et de se projeter. On ne va pas faire l’état des lieux mais on doit faire face au trumpisme, à Musk, à l’Europe qui se droitise, à la guerre qui commence à arriver près de chez nous. Et en même temps il ne faut pas désespérer. Je ne suis pas dans cet état d’esprit et c’est ce que dit la chanson. On a les technologies, les moyens, l’intelligence et on sait vivre ensemble quand on veut le faire.
TMM : C’est vrai qu’il y a tout un aspect pessimiste de l’écologie mais il y a des gens comme Cyril Dion qui essaient de trouver la bonne manière de communiquer sur le sujet.
Guiz : On se connait très bien avec Cyril Dion. On a eu la chance avec Tryö d’aller jouer au Maroc dans le cadre d’un forum sur l’écologie et on a pu échanger longuement avec lui. J’aime son état d’esprit. On doit arrêter de culpabiliser de boire dans une canette en ferraille (en me montrant son ice tea). En tant que citoyens, nous sommes plus informés, actifs et conscients que nos politiques ou les multinationales et il serait temps que la bascule se fasse. Qu’ils montrent un peu l’exemple, qu’ils nous proposent autre chose. Et pour en revenir au thème de l’écologie qu’on retrouve dans Utopia et Bye Bye, il a toujours été là.
TMM : Oui, même dans Tryo
Guiz : C’est vrai qu’il n’y a pas eu un album où je ne suis pas arrivé avec ma petite chanson écolo (rires).
TMM : Ton engagement, il est écologique mais aussi politique. Tu parlais de Carnaval, c’est un morceau plutôt énervé…
Guiz : Oui, il symbolise les promesses non tenues, une sorte de synthèse de cette cinquième république. On s’est fait avoir, de Mitterand à Sarko en passant par Giscard. Je prends l’exemple des retraites. Toute la France est dehors, il n’est plus question de droite ou de gauche. 80% des gens sont contre la réforme mais on leur répond par un 49.3. Même chose avec le forum sur l’écologie. Macron réunit des citoyens en nous faisant croire qu’on allait enfin pouvoir prendre des décisions et faire des propositions pour qu’au final, il sorte son joker quand elles étaient intéressantes. Je suis très politisé, je continue à voter mais je suis comme tout le monde, je suis désabusé. On n’écoute pas les gens et ça fait trop longtemps que ça dure.
TMM : Musicalement il fait appel à tes racines punks.
Guiz : Oui, on l’a enregistré ici au studio avec Gérôme Briard à la guitare. Ordoeuvre est repassé derrière avec ses machines mais en live il va prendre une toute autre dimension avec un retour aux grosses guitares comme à l’origine.
TMM : Peut-on imaginer Guiz faire campagne pour les municipales de 2026 ?
Guiz : On m’a déjà proposé de faire partie d’une liste il y a quelques années. Je n’y suis pas allé par manque de temps. Mais on pourrait l’imaginer, au niveau local, que je rejoigne une liste où je me sentirais à ma place. Là encore, si je le faisais, il faudrait vraiment que j’ai le temps. On ne s’engage pas dans ce genre de chose pour le faire à moitié. Il y a tout un tissu de gens qui se bougent en Bretagne et qui ont envie de faire des choses ensemble. Je suis assez friand de tout ce vivier, du fait que je vis ici. La politique c’est aussi ça, le fait de participer à la vie de sa cité à travers des associations. Avec Buba, on programme le festival des Arts Sonnés depuis 15 ans et un autre festival en hiver. On est dans le concret en étant acteur sur le terrain.
TMM : Dans On se recommence tu rends hommage à ton grand-père qui s’est battu pour notre liberté il y a tout juste 80 ans. C’est important pour toi ce devoir de mémoire, de continuer à faire entendre ta voix ?
Guiz : Oui, tu sais mon grand-père était réunionnais. Il faut s’imaginer un homme qui a quitté son île pour aller libérer un pays qu’il ne connaissait même pas. J’ai appris il n’y a pas longtemps qu’il a finit au Nid d’aigle. Un membre de ma famille m’a transmis des lettres qu’il écrivait à l’époque et quand je les aies lu, c’était la période où Zemmour arrivait en force. On sentait que l’extrême droite, et on y est encore, commençait vraiment à s’exprimer partout, du bureau de tabac au supermarché. Avant il y avait quand même une certaine honte d’être facho. Pour moi ça a toujours été quelque chose d’inconcevable d’imaginer retourner à cette époque. Il y a une espèce de détresse dans ce morceau mais une lueur d’espoir aussi. Le combat continue. J’ai envie de dire aux jeunes qui veulent Bardella que c’est grâce à leurs arrières grands-parents qu’ils ont cette liberté. Cette montée de l’extrême droite et ce repli sur soi dans le monde entier, c’est ce qui me fait le plus peur en ce moment.
TMM : Plus doux comme le rêve qu’il évoque, Débrancher se distingue par le très bel arrangement réalisé par Martin. Comment s’est passé la collaboration avec Mike et Riké de Sinsémilia ?
Guiz : Cette chanson est à l’image de l’univers de Martin qui a travaillé comme assistant d’Eric Serra pendant quatre ans. Elle a été composée par Sébastien Le Bon de Désert Rebel et à la base elle était plutôt pop-rock. On l’a revisité en mélangeant des sons électroniques et organiques pour symboliser ce thème du rêve. C’est une sorte d’ovni dans l’album. J’ai tout de suite pensé à Riké et Mike que j’avais vraiment envie d’inviter. En sortant du studio ils étaient contents d’être allés là où finalement on ne les attend pas du tout. Et puis cette chanson, c’est un appel au rêve, au changement. Débranchez mon réveil et laissez moi vivre dans mes songes, c’est imaginer un monde où les femmes et les hommes sont égaux, où la nature est une source de contemplation.
TMM : Et dans ‘Utopia’, on retrouve aussi En toi, une chanson qui te tient particulièrement à cœur.
Guiz : Cette chanson parle de quelqu’un qui m’est très proche, qui est un peu de la famille et avec qui on se bat pour qu’il reprenne gout à la vie. C’est un morceau très émotif et ça va être dur de le chanter en live. Il vient du fond des tripes. Je le lui ai écrit le jour où il est parti en cure de désintox en lui disant « tiens c’est pour toi, c’est pour te dire que je suis là, que je t’aime ». Il y a quelque chose d’assez universel dans cette chanson. On a tous nos écorchures, nos doutes, nos peurs. J’y suis passé et je pense que tout le monde passe par la dépression à un moment donné. Il faut s’en relever pour voir que la vie est belle, qu’elle passe vite et qu’il faut en profiter. Surmonter son chagrin est un beau combat à mener et je me l’adresse à moi-même aussi. On a tous nos addictions et nos faiblesses.
TMM : L’amour et la famille sont des thèmes récurrents dans tes chansons comme sur Mon petit monde qui aurait pu se retrouver sur un disque de Tryö par son côté épuré.
Guiz : Elle aurait effectivement pu se retrouver dans un album de Tryö. Ce morceau est né d’une musique que m’a envoyé le guitariste de Sinsémilia qui m’a invité à écrire un texte dessus. Je l’ai chanté à ma femme et à Manu et tous les deux m’ont poussé à la mettre sur l’album. On retrouve vraiment cette collaboration hyper simple entre Manu et moi, avec juste une guitare. On est dans la genèse de ce qu’a pu être Tryö il y a trente ans. C’est un petit retour aux sources. J’ai écrit cette chanson pour mon troisième garçon de sept ans qui est un moteur, que j’ai envie de voir grandir et de s’épanouir. Je veux vraiment amener mon enfant à avoir sa personnalité et à avoir un regard sur le monde, puis savoir que je peux le laisser partir sans avoir peur qu’il lui arrive quelque chose.
TMM : Tu écris des chansons depuis plus de 30 ans maintenant dont L’hymne de nos campagnes qui traverse les décennies en restant toujours d’actualité. Avec ce recul que tu as aujourd’hui, qu’est ce qui constitue pour toi une bonne chanson ?
Guiz : C’est quand elle ne t’appartient plus peut-être, quand elle te dépasse. Pour moi une bonne chanson, c’est une belle mélodie et une histoire qui reste dans la tête. Mais c’est tellement aléatoire, ça ne va pas être la même chose que pour toi. Un jour, on a reçu la demande pour que L’hymne de nos campagnes soit étudiée dans tous les lycée français à l’étranger, et là on se dit que c’est peut-être une bonne chanson, peut-être ma préférée d’ailleurs parce qu’elle m’a permit d’avoir cette carrière, de pouvoir acheter cette maison. Tryö n’existerait pas sans elle.
TMM : C’est toujours un plaisir de la chanter ?
Guiz : Oui, sincèrement. Et puis, on ne la chante pas tout seul, tout le monde la reprend en chœur avec nous, toutes générations confondues. Il y a tout de même un côté plus négatif à cette chanson. C’est qu’elle est toujours d’actualité parce qu’on continue de faire face à un mur avec le problème de l’écologie aujourd’hui et elle résonne plus qu’il y a trente ans à une époque où on nous prenait pour des baba cool. A part des tarés comme Trump ou Musk qui veulent nous faire croire que tout va bien, tout le monde sait que le dérèglement climatique est réel donc cette chanson a un impact énorme.
TMM : Comment perçois-tu ceux qui utilisent l’IA, que tu abordes dans GPT, pour écrire des chansons ?
Guiz : Je me dis que j’ai eu de la chance de vivre dans cette époque où on n’aura pas eu besoin de l’IA pour faire de la musique et des concerts, de tricher. Mais est-ce une vraie tricherie ? Au final, l’IA se nourrit de tout ce qu’on est, pilotée par des humains. Je ne pense pas que ce soit quelque chose d’abject ou qu’il ne fasse pas l’utiliser. Je m’y intéresse comme tout le monde. Ce que je n’aimerais pas, c’est que demain on prenne ma voix et mon image pour me faire dire des choses qui ne viennent pas de moi. C’est ce qui est en train de se passer. Il y a une vraie perte de contrôle sur l’identité. C’est assez flippant mais en même temps il y a quelque chose d’attirant pour quelqu’un comme moi qui adore la science fiction. C’est comme tout, il faut voir qui va l’utiliser, comment et pourquoi. On m’a proposé un clip entièrement réalisé avec l’IA et j’ai refusé. Pour moi ce n’est pas l’heure. Il y a encore des gens talentueux qui peuvent en faire. Ça manque encore beaucoup d’humanité là dedans. Et puis la musique c’est faire et jouer ensemble. Même en tant qu’artiste solo, j’ai quatre amis autour de moi. C’est impossible d’être dans la solitude absolue.
TMM : L’album se termine sur du gros son avec A fond porté par les scratches de DJ Ordoeuvre. La suite pour cet album, c’est de reprendre la route. A quoi le public peut-il s’attendre sur scène ?
Guiz : Ca va être un set assez festif. On ne va pas retrouver les morceaux comme sur l’album, beaucoup sont déjà partis ailleurs. Cet album, c’est une étape. Avec Tryo, on disait toujours qu’un disque était un prétexte pour aller jouer. ‘Utopia’ a été pensé comme ça. Je serais accompagné de Dan Voisin à la batterie, de Marie Lalonde à la basse et de mon pote Manu qui part avec moi aussi. Ça va bouger !