Des textes justes et percutants soutenus par des rythmes chaloupés et une voix singulière, c’est ce qui fait la force de l’univers de l’artiste vannetaise Joy Dary qui s’apprête à sortir son premier EP intitulé ‘Fragments’, prévu pour le 26 avril. La chanteuse du groupe The Sunvizors avec lequel elle a sorti deux albums et donné plus de 300 concerts en France et en Europe se lance dans une nouvelle aventure, en solo cette fois, sous son propre nom, comme un retour à l’essentiel. Influencée notamment par Alabama ShakesGaël Faye ou encore Tame Impala, ses chansons sont le fruit d’un métissage nous amenant aux frontières de la soul, de la pop et de l’électro avec une touche d’afro. On a donc voulu en savoir sur l’artiste, son parcours et ses combats, son rapport à l’autre mais aussi a elle-même. Sur ses fragments de vie qui font d’elle l’artiste qui éclot tout doucement jour après jour.

The Morning Music : Tu as connu le succès avec The Sunvizors, qu’est ce qui t’as poussé à te lancer en solo ?

Joy Dary : Avec The Sunvizors, on faisait du reggae et c’est un style que j’ai véritablement découvert avec le groupe. L’équipe m’a fait écouter les standards du genre, notamment Bob Marley. Même si je connaissais déjà plein de morceaux, je ne l’avais jamais écouté en détail. Ça m’a beaucoup plu mais ce n’était pas ce que j’écoutais, ni ce que je composais non plus. Donc il y avait cette envie en moi de faire autre chose, d’expérimenter et de voir aussi ce que j’avais dans le ventre. Je voulais vraiment explorer d’autres horizons et voir ce que j’étais capable de faire.

TMM : N’avais-tu pas de peur ou d’appréhension à porter ton projet seule au départ ?

Joy : Si, il y avait de la pression parce que jusque là je composais en guitare voix et les gars du groupe faisaient les arrangements. Pour ce projet, il a fallu que je pense mes propres arrangements et aller beaucoup plus loin dans la création. Cela demande du travail mais aussi de savoir ce qu’on veut. On se pose pleins de questions à ce moment-là. Je savais que je ne voulais pas faire de reggae mais sans savoir pour autant quelle direction prendre. Il y a tout un cheminement qui prend beaucoup de temps même après plusieurs années, j’y suis encore aujourd’hui. Je cherche précisément où je veux aller. C’est un travail de fond, de recherche, de choisir avec quels musiciens travailler parce que même si je voulais me lancer en solo, il me fallait tout de même des musiciens. Je n’avais pas envie de partir en live toute seule par exemple. Au début de ce projet solo, j’ai pensé garder la même équipe car on se connaissait déjà bien. Mais finalement pour sortir de l’esthétique, il fallait aussi changer de musiciens. J’ai donc réapprendre à jouer avec d’autres musiciens aux méthodes de travail et aux manières de penser la musique différentes. Mais il y beaucoup de fierté quand on on arrive à un résultat concret.

TMM : Tu as sorti plusieurs singles en anglais ces dernières années, tu reviens avec un EP en français ‘Fragments’, qui sort au printemps, est-ce une manière pour toi d’affirmer ton identité ?

Joy : Chanter en français c’est quelque chose que j’avais déjà expérimenté il y a longtemps, quand je chantais dans un groupe qui s’appelait Matiz Métisse. J’aime raconter des histoires dans mes chansons et ce qui est intéressant dans le français, c’est que les gens peuvent comprendre ce que je dis. Cela me permet d’avoir une proximité avec le public, de pouvoir discuter avec les gens après les concerts ou de répondre à leurs messages quand ils me disent qu’une chanson leur fait penser à quelqu’un ou à ce qu’ils ont pu vivre. Cela crée un débat, un contact. En anglais, ce lien se fait principalement autour de la musique, des sonorités. Musicalement, ils vont ressentir quelque chose, mais cela ne va pas générer de questions, de souvenir. Ce n’est pas le même contexte. Le français permet d’aller plus loin dans la communication et le partage avec les gens. J’avais perdu ce rapport avec The Sunvizors ou Joy D, mon projet précédent, et le fait de le retrouver c’est plutôt agréable. Ça me pousse à prendre plus de temps dans l’écriture aussi pour être plus précise dans mes mots. Ce n’est pas que je n’avais pas envie de le faire en anglais mais la langue française est tellement plus riche. Il y a beaucoup plus de possibilités qu’en anglais. Mais c’est aussi plus compliqué à chanter d’écrire en français, c’est moins mélodieux, car c’est une langue qui est très rythmée.

TMM : A l’écoute de tes textes sans détours, on imagine que ‘Fragments’ est en quelque sorte un ensemble de morceaux, une compilation d’instants de ta vie que tu racontes dans ce disque.

Joy : C’est exactement ça. Me chercher musicalement me prend beaucoup de temps car je suis très éclectique, j’écoute plein de styles différents, et c’est ça qui fait que j’ai du mal à définir mon style musical. On me classe dans la pop mais pour moi il y a de l’afro, de la soul, de la chanson française. C’est tout ça mélangé. Et je me suis rendu compte que j’avais envie de mettre tous ces petits bouts de choses finalement dans cet EP parce que je suis comme ça, c’est ce qui me ressemble. Je crois qu’on a tous vécu plusieurs vies, on est tous comme une sorte de puzzle et on essaie de rassembler les morceaux pour tenir debout. C’est ça que je voulais mettre dans cet EP, raconter que je suis tous ces petits morceaux là et chacun peut ensuite les mettre dans le désordre pour recréer quelque chose afin d’en faire son histoire.  

TMM : Comme tu dis, les sonorités sont variées dans tes chansons, on y retrouve de l’électro, de la soul et de la musique afro, à l’image de ce métissage que tu évoques dans A l’aube. Au final c’est le côté pop que l’on retrouve le moins.

Joy : L’aspect pop dans ce que je fais, je le vois plus dans la construction du morceau. Si on reprend les Beatles, c’est une succession de couplets et de refrains qui restent en tête. C’est en ça que je pense que je fais de la pop mais en soit c’est un mélange de plusieurs styles différents effectivement.

TMM : A l’aube a été enregistré à La Réunion, comment ça s’est passé ?

Joy : C’est l’un de mes éditeurs, Intaka, qui m’a fait rencontrer Sskyron, un producteur réunionnais. J’étais en voyage à La Réunion avec Loic, un de mes musiciens. Et il y avait ce morceau, A L’aube, qui existait mais qui était binaire (rires). J’avais envie de lui insuffler autre chose, de le transformer en morceau maloya. Donc on a rencontré Sskyron, un expert en la matière, dans son studio et on a discuté pendant une heure. Il voulait nous connaitre et savoir ce qu’on faisait. On lui a alors fait écouté le morceau et il a fait des placements sur son ordinateur en décalant tout pour le réarranger en ternaire en nous montrant les tréfonds de ce genre musical réunionnais qu’est le maloya. Cela m’a permis d’apprendre beaucoup de choses. Et quand on a réécouté le morceau, on a trouvé que c’était génial. Même s’il fallait tout refaire évidemment, on tenait quelque chose. Ça a été vraiment une super rencontre, je suis vraiment ravie de l’avoir croisé sur mon chemin. En plus d’être producteur, c’est un très bon musicien et très bon chanteur. Ce gars-là a vraiment du talent.

TMM : Quels sont les thèmes qui te sont les plus chers et que tu veux défendre dans ta musique ?

Joy : Si je sors de l’EP, parce qu’en live je chante d’autres morceaux, je dirais que ce qui me tient à cœur c’est de parler de métissage et de dénoncer les violences faites aux femmes. Ce sont des thèmes que j’aborde souvent dans mes chansons. J’aime aussi parler du quotidien, de choses plus légères. C’est une manière de prendre du recul, de voir la beauté dans chaque chose, de savourer les petits bonheurs. Ce sont ces trois thèmes qui reviennent souvent.

TMM : Est-ce que tu te considères comme une artiste engagée ?  

Joy : Eh bien écoute, je suis intermittente, métisse et homosexuelle donc je pense que je peux me mettre dans cette case-là, oui (rires).

TMM : La sensibilité a souvent été vue comme une faiblesse, comment lors de ton parcours de vie en as-tu fait une force ? 

Joy : C’est une bonne question. Je pense que quand on est sensible on est touché par pas mal de choses, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Et quand on est touché par de mauvaises choses, il faut savoir se relever. Dans ma vie, j’ai dû me relever beaucoup de fois et j’ai eu de la chance aussi parce que j’aurais pu prendre des directions moins cool. Mais j’ai beaucoup d’espoir et dans mes morceaux je parle souvent du fait de rebondir. Quand je parle de violences faites aux femmes, il y a toujours une issue positive, ou en tout cas une envie de s’en sortir. Il y a toujours de l’espoir dans mes morceaux. C’est quelque chose que j’ai envie de transmettre parce que c’est vraiment un sentiment qui me porte. Quand on est sensible, il faut toujours s’accrocher à l’espoir, garder de la positivité.

TMM : Les gens sont au cœur de tes chansons, en quoi est-ce qu’ils t’inspirent et sont si importants pour toi ?

Joy : Je ne parlais pas beaucoup des gens avant dans mes chansons, c’est venu après le covid. Avant le confinement, je partais souvent en tournée, j’étais souvent absente. J’étais déconnecté de la vie de mes amis et de ma famille. Au bout d’un moment, on ne t’invite plus parce que tu n’es jamais là le weekend. Et puis quand il y a eu le covid, j’ai ressenti une grande solitude. Tout d’un coup, il n’y avait lus de concerts et donc plus de public. Pour autant, on ne pouvait plus voir notre famille ni nos amis. Depuis, je fais moins de concerts et je suis beaucoup plus proche de ma famille et de mes amis. Je pense que c’est pour ça que je parle d’eux dans mes chansons, du fait que je parle d’un quotidien, de ce que je connais, et c’est logique qu’ils arrivent dans cette histoire. Les gens m’inspirent parce que je pense que mon travail c’est de leur parler, d’être en contact avec eux. Tout comme la relation qu’on peut avoir avec les autres m’inspire.

TMM : Si tu ne faisais pas de la musique, tu ferais quoi ?

Joy : Je ferais de la culture, mais de celle qu’on mange. Je ferais un potager. J’en ai un à la maison, j’adore ça. Je pense que ma deuxième passion, c’est de faire pousser des plantes et des légumes.  

TMM : On a pu te voir sur scène en 2023, est-ce que tu le public pourra te retrouver aussi cette année ?

Joy : Oui, il y a quelques dates qui sont prévues, notamment Transat en Ville à Rennes. J’espère en avoir encore plus à annoncer bientôt !

Fragments, disponible à partir du 26 avril 2024.

Previous

Clip : For You par Citizen Papes

Next

Le festival Chez Hubert annonce de nouveaux noms

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A lire aussi