Grand sourire aux lèvres, Aliocha me sert la main et me demande s’il peut juste prendre une minute pour boire un verre d’eau avant de commencer l’interview. A quelques heures de monter sur la scène de l’Echonova à Vannes, le chanteur semble être comme on peut l’imaginer, de nature plutôt tranquille et agréable. Son album éponyme sorti en septembre 2023 cartonne dans les bacs, porté notamment par les singles Ensemble et Avant elle qui inondent les ondes radio. Le succès, il le connait également à travers le petit écran puisqu’on a pu le voir l’été dernier dans la série Salade Grecque, la suite de L’auberge espagnole de Cédric Klapisch, et plus récemment dans Tout va bien sur Disney+. Celui qui est le compagnon de Charlotte Cardin vient d’entamer une tournée française pour présenter ce troisième album paru chez Tôt ou Tard et faisait donc un arrêt dans la ville bretonne. Ce concert intervenait au lendemain des 39ème Victoires de la Musique qui a sacré Vianney artiste masculin de l’année. Un signe peut-être pour le jeune chanteur de 30 ans puisqu’ils appartiennent tous les deux à la même maison. Très content pour lui et pour Zaho de Sagazan, l’idée qu’il soit à son tour nommé l’an prochain lui semble néanmoins prématuré.

The Morning Music : Tu t’imagines nommé l’année prochaine aux Victoires ? C’est un objectif que tu as en tête, de gagner des prix ou des récompenses ?

Aliocha Schneider : Bien sûr, c’est pas un but précis mais c’est une forme de reconnaissance. J’aimerais pouvoir le mériter en tout cas. Mais c’est pas encore pour tout de suite. En tout je suis très heureux pour eux.

TMM : Comme beaucoup j’ai pu te découvrir dans Salade Grecque, excellente série pour tous les fans de Klapisch et de la trilogie de l’auberge espagnole. Qu’est-ce que tu retiens de cette expérience en Grèce ?

Aliocha : J’ai retenu pleins de choses, à plusieurs niveaux. Musicalement déjà il y a cet album qui est sorti au mois de septembre et qui a été largement inspiré de cette période là où j’étais loin de chez moi, où je vivais des choses fortes, intenses. C’était comme être dans une espèce de bulle hors du temps, hors de mon quotidien en tout cas. Et sur le disque je trouve que ça se ressent. Que ce soit dans les textes où je parle beaucoup de la Grèce, de la mer, du soleil, du voyage, ou que ce soit dans les sonorités. J’ai voulu qu’on sente ce côté insulaire, avec l’utilisation des lap-steels et des percussions. C’est une période où j’ai été inspiré par la musique brésilienne, par des artistes comme Rodrigo Amarante. En tant qu’acteur et humainement, ça m’a aussi beaucoup apporté. Ça a été une expérience très riche.

TMM : Ta relation avec Cédric Klaspisch ne s’est pas arrêté là puisqu’il a réalisé le clip de Avant Elle

Aliocha : Oui c’est ça, exactement. En fait il a un côté vraiment famille. D’ailleurs j’ai été étonné sur le tournage de Salade Grecque de voir qu’une grande partie de l’équipe avait déjà travaillé sur l’Auberge espagnole ou sur ses films encore plus anciens. Il garde les mêmes gens, il a un côté très famille comme ça. Et après le tournage, je lui ai demandé des conseils parce qu’au départ je voulais réaliser le clip d’Avant elle tout seul. Mais je me suis demandé s’il n’avait pas quelques idées parce que je bloquais. Et il m’a proposé au départ de m’aider en me donnant quelques pistes, puis d’être présent sur le plateau pour offrir un regard extérieur et au final de le réaliser. J’ai trouvé cela d’une générosité incroyable. C’est un vrai geste d’amitié.

TMM : Vous vous rejoignez d’ailleurs sur ce côté famille puisque la tienne est importante pour toi

Aliocha : Effectivement. Après je ne voulais pas qu’on associe mon personnage de Tom dans Salade Grecque à ma musique parce que ce sont vraiment deux projets différents. Mais il se trouve que mon expérience sur le plateau a influencé ma musique. Donc c’est à ce niveau là que je trouve qu’il y avait un lien intéressant.

TMM : Ce tournage en Grèce, ça a été le point de départ de ce nouveau disque éponyme dans lequel on retrouve la chanson Ensemble qui parle d’amour à distance. Pour deux artistes qui sont souvent en tournée, comment fait-on pour concilier vie pro et vie perso et compenser le manque de l’autre ?

Aliocha : C’est une chanson sur la distance physique mais la distance, elle peut aussi se vivre sous le même toit, quand on ne se parle plus, ou du moins pas des choses importantes. Et je pense que tout le monde peut se retrouver dans cette chanson, sans forcément être artiste. Ce que je trouve intéressant d’ailleurs, c’est quand les gens me parlent de leur histoire et l’interprètent à leur façon. Un jour, un homme m’a parlé de sa maman qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer et pour lui, la chanson parlait de ça. « La mémoire est courte« , « les idées se troublent mais le corps se rappelle, est-ce que tu te rappelles ? » Pour eux ce sont des choses qui ont un sens et moi je ne pensais évidemment pas du tout à ça. C’est intéressant de voir comment chacun peut s’approprier la chanson.

TMM : On entend dans cet album d’autres voix que la vôtre, celle de Charlotte Cardin mais aussi celle de vos amis rencontrés sur le tournage de Salade Grecque, comment s’est passé l’enregistrement ?

Aliocha : Je voulais que cet album soit figé dans le temps, que ce soit une photographie d’un moment de ma vie, et qu’on entende les gens qui en faisaient partie à ce moment là. Marc-André Gilbert, avec qui j’ai travaillé sur les arrangements, est venu une semaine en Grèce et on a enregistré des voix sur Avant elle et sur Paradis. Mais l’album a été principalement enregistré à Montréal. Charlotte venait le soir au studio et on enregistrait des voix mais elle n’apparait pas dans les crédits parce que ni elle ni moi voulions que ce soit vu comme une collaboration entre Charlotte Cardin et moi. Je voulais qu’on entende simplement la voix de ma copine et là il s’avère que ce n’est pas la pire des chanteuses (rires). Mais même si ma copine n’était pas Charlotte, si c’était quelqu’un qui chantait moins bien comme mes amis par exemple, je l’aurais fait chanter quand même (rires).

TMM : Dans ce nouveau disque, tu chantes principalement en français, pourquoi ce choix ?

Aliocha : Ça faisait longtemps que je voulais essayer de chanter en français. J’ai sorti mon deuxième album, ‘Naked’, le 20 mars 2020, c’est-à-dire durant la première semaine de confinement donc toute ma tournée a été annulée. Alors pour faire vivre l’album, j’ai décidé de traduire une de mes chansons en français, Forget My Blues, qui est devenue C’est tout, c’est rien. Ça a été comme une révélation parce que je trouvais que j’arrivais à faire quelque chose qui a mon goût sonnait bien. Je n’y croyais pas jusque-là parce que tous les artistes français que j’aime, Gainsbourg, Renaud, Barbara, ont leur couleur, quelque chose d’unique. Je ne voulais pas sonner comme eux. J’ai finalement trouvé ma façon de chanter en français qui est plus de l’ordre du parlé, avec des mélodies (rires), mais des notes moins tenues, déclamées. Et puis dans le choix des mots, ça diffère aussi du fait de chanter en anglais.

TMM : Il y a quelque chose d’assez intime de chanter en français effectivement.

Aliocha : Je trouve que ça fait partie de la difficulté. Les textes ont toujours été importants pour moi, même quand je chantais en anglais. Souvent c’est la mélodie qui vient en premier chez moi. Mais je trouve que parfois un mot trop clair va emprisonner, va rétrécir la portée d’une mélodie qui est pour moi un sentiment pur capable de toucher sans qu’il y ait une idée derrière. Rajouter une idée à un sentiment, à une émotion, peut vraiment la tuer. Je trouve que l’anglais permettait de rendre le propos plus flou.

TMM : Les artistes folk des années 60 t’ont beaucoup influencé et à cette époque des artistes comme Dylan racontaient pourtant de vraies histoires. Le texte avait vraiment de l’importance.

Aliocha : Oui mais Dylan parfois il raconte n’importe quoi (rires). Je pense aux « Finger pointed songs » de ces débuts, ces chansons étaient très engagées. Mais plus tard dans ‘Blonde On Blonde’, par exemple, il parle de choses complètement dingues. On dirait que c’est de l’écriture automatique (rires).

TMM : Il y a une chanson, Hey Mama, dans ton album. Est-ce une référence à ta maman ?

Aliocha : Oui, clairement, même si c’est une chanson plutôt universelle. J’utilise le mot maman, mais ça pourrait être mes parents, où n’importe qui qui pourrait s’inquiéter pour moi. Il y a quelque chose de symbolique quand je dis « Hey mama ne t’inquiète pas pour moi ». Rien ne semble aller vraiment bien mais j’ai confiance, j’ai espoir que ça va aller.

TMM : La mélancolie et les angoisses présentes dans tes textes sont contrastées par les sonorités. A l’écoute de l’album, on ressent cette vibe cool, le soleil, la bonne humeur. Je trouve qu’il y a un peu de Ben Mazué dans le style d’écriture et de Mac DeMarco ou Tame Impala dans les arrangements, ce sont des artistes qui t’inspirent ?

Aliocha : Mac DeMarco à fond, Tame Impala aussi. J’adore leur production, c’est de la musique qui fait du bien. Et du fait que je parle d’angoisse dans mes chansons, je n’ai pas envie de faire de la musique prise de tête. Quand j’écoute de la musique, j’ai envie que ça m’élève. Pour autant dans mes textes, je n’ai pas envie de parler de soleil, de dire que tout va bien. Il n’y a pas besoin d’exprimer ces choses-là. En tout cas, ça ne peut pas être que ça. Je ne veux pas avoir à la fois des textes qui parle de choses tristes et à la fois avoir des sons plombants.

TMM : Qu’est-ce qu’il y avait dans ta playlist à l’époque où tu as commencé la musique ?

Aliocha : On parlait de Bob Dylan tout à l’heure que j’ai énormément écouté. Elliot Smith également. Je crois que j’avais 13 ans quand j’ai commencé à jouer de la guitare et j’étais à fond dans Jack Johnson à cet âge là. J’écoutais aussi des choses plus sombres comme Radiohead et de la pop de l’époque.

TMM : J’ai lu quelque part que tu as le même modèle de guitare qu’avait Bob Dylan à ses débuts, une Martin de 1949 ?

Aliocha : Oui c’est la guitare qu’avait Bob Dylan lors de ses premiers enregistrements. Au début pour l’album, on a essayé plusieurs directions. On a fait des essais électro au départ, puis c’est parti dans quelque chose de plus néo-soul parce que j’écoutais beaucoup ce style de musique à ce moment-là et ça m’inspirait beaucoup. Pour une chanson notamment, on avait quatre versions différentes. À un moment, je l’ai joué simplement en acoustique, et c’est là qu’on a pris la décision de prendre cette direction pour l’album. Alors je me suis dit qu’il fallait que je trouve LA guitare. Notre référence, c’était Bob Dylan donc j’ai commencé à chercher quelle était la première guitare qu’il avait. Et je suis tombé sur cette Martin 000 17 qui était disponible et que j’ai fait venir des États-Unis. C’est cette guitare qu’on entend sur l’album.

TMM : On a parlé du clip de Avant Elle tout à l’heure. Tu as réalisé le clip de ta chanson Ensemble en un long plan séquence, en plus d’être acteur, c’est quelque chose qui t’attire la réalisation ?

Aliocha : Dans l’idée oui mais ce n’est pas quelque chose que j’ai en tête pour l’instant. J’ai vraiment envie de me concentrer sur la musique. En tant qu’acteur, il y a plein de choses qui se passent et je suis sûre qu’un jour viendra où j’aurais envie de réaliser. En tout cas sur les clips ça m’amuse beaucoup mais quand je fais ça, je ne pense pas à une carrière de réalisateur. Je considère que si j’ai une idée de clip, je suis la meilleure personne pour la mettre en scène.

TMM : Tu joues ce soir à l’Echonova, qu’est-ce que t’inspire la scène ? Comment l’appréhendes-tu ?

Aliocha : Cela faisait longtemps que je n’étais pas monté sur scène du fait que je n’ai pas pu tourner au moment de la sortie de mon deuxième album. J’ai eu la sensation que je devais tout réapprendre donc forcément je l’appréhendais énormément. Quand j’ai fait mon premier concert pour le lancement de celui-ci, je me suis rendu compte qu’on est porté par les gens. C’était un vrai moment collectif, une sorte de communion avec le public, autour des chansons. L’écriture et le studio, c’est quelque chose d’assez solitaire. Là tout à coup le fait de se retrouver avec des centaines de personnes qui chantent les chansons, il y a quelque chose qui n’est plus de l’ordre de la performance. C’est une célébration avec le public.

TMM : As-tu un rituel avant de monter ?

Aliocha : Avec le groupe, on prend une guitare acoustique et on passe à travers les chansons du set. Il y a beaucoup d’harmonies sur l’album et quand j’ai du choisir mes musiciens, c’était important pour moi qu’ils chantent tous. Ce sont tous de bons musiciens mais aussi de bons chanteurs. Donc avant de monter sur scène, on chante les harmonies et ça nous chauffe la voix. On passe un moment ensemble et on rit. Ce qui fait qu’au moment de la première chanson du concert, on est vraiment prêt !

Aliocha Schneider, déjà disponible chez Tôt ou Tard.

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