Il est a peu près 11h en ce samedi matin quand mon téléphone sonne et quand en décrochant, j’entends cette voix. « Salut, c’est Eagle-Eye ». Pas d’erreur, c’est bien cette star légendaire des années 90 que j’ai au bout du fil. Comme beaucoup à l’époque, j’ai fredonné sa célèbre chanson Save Tonight en boucle quand j’étais adolescent. Quelques décennies plus tard, Eagle-Eye Cherry est ‘Back On Track’, de retour sur la bonne voie, pour reprendre le titre de son dernier album studio paru il y a un peu plus d’un an. Après avoir traversé une période de doute entre 2003 et 2012, le chanteur américano-suédois a fait un retour en grâce avec l’album Street Of You en 2018 et a voulu surfer sur ce retour gagnant. Mais la pandémie est passée par là et l’a freiné dans son élan. Avec ‘Back On Track’, Eagle-Ey renouvelle son envie de faire de la scène, de continuer de rendre à son public ce qu’il lui a donné durant ces quasi 30 années de carrière. C’est donc à quelques heures de son concert aux Arcs à Quéven que j’ai eu la chance de parler avec lui de cette belle carrière, de son lien avec les Etats-Unis qu’il a quitté quand il était jeune mais aussi de sa vision l’industrie musicale. Rencontre avec une légende de la scène folk-rock mondiale.

The Morning Music : Back On Track est sorti il y a un an maintenant. Des chansons telles que Rising Sun ou I Like It sont puissantes et rapides, comme pour mieux coller au son des festivals et des grandes salles. Etait-ce ton intention quand tu as compose ce disque ?

Eagle-Eye Cherry : Oui, je pense. Avec l’album précédent, Street Of You, on est parti en tournée pendant à peu près un an et demi. Quand on l’a terminé, fin 2019, j’ai voulu entrer directement en studio pour conserver l’énergie qu’on avait avec le groupe en live. J’avais écrit des chansons pendant cette tournée, des chansons qui selon moi manquaient dans la set-list. I Like It, tout comme One Of The Days font effectivement partie de ce que je souhaitais pour l’expérience en live.

TMM : Il y a toujours un message universel dans tes chansons. Comment trouves tu encore l’inspiration pour écrire des chansons qui auront toujours un impact dans la vie des gens 10 ou 20 ans plus tard ?

Eagle-Eye Cherry : A chaque fois que je termine une chanson, je me dis « oh génial, ça a marché ! ». On ne sait vraiment jamais ce qui va se passer en vrai. Je suis toujours reconnaissant quand ça marche. C’est intéressant parce que c’est toujours un challenge d’essayer de raconter une histoire que je n’ai pas encore évoqué. Savourer la vie est une bonne chose, ça nourrit les chansons. Mais je pense que d’une certaine façon il y a encore des choses que je n’ai pas exprimé d’un point de vue ou d’un autre. Bien souvent quand je travaille avec quelqu’un pour la première fois, je me dis « tiens écrivons une chanson d’amour » et on finit toujours par écrire une énième histoire de cœur brisé. Je m’efforce tout de même de faire en sorte que les gens puissent se reconnaitre dans les paroles, qu’ils puissent se dire « ouais, je comprends ce que tu dis, j’ai vécu ça moi aussi ».

TMM : Des chansons qui racontent à la fois ton histoire mais qui ont aussi ce côté universel…

Eagle-Eye Cherry : Oui, exactement. Je pense que si tu prends les paroles, Save Tonight est le parfait exemple d’une chanson qui permet aux gens de s’identifier. Elle capte vraiment ce sentiment que l’on peut ressentir quand on sait que la nuit se termine et qu’on doit quitter quelqu’un qu’on aime alors qu’on n’a absolument pas envie de le faire, surtout parce qu’on ne sait pas quand on reverra cette personne à nouveau. Je pense que c’est une de ces chansons qui pointe le doigt sur un sujet parmi lesquels les gens peuvent s’identifier.

TMM : L’année dernière tu as participé à une émission de télé-réalité musicale, Sa mycket battre, était-ce une bonne expérience ?

Eagle-Eye Cherry : C’était genial, j’ai vraiment apprécié de participer à cette émission. On n’a pas souvent l’occasion de passer autant de temps avec des gens qui font la même chose que nous, des musiciens, des compositeurs. C’était l’occasion d’interpréter leurs chansons et qu’eux fassent la même chose avec les miennes. J’ai trouvé cette partie intéressante. Mais le fait d’être filmé, d’avoir une caméra qui te colle toute la journée, du moment où tu te lèves jusqu’au moment où tu te couches, c’était pas vraiment agréable. J’aime avoir mon intimité donc c’était un défi pour moi de laisser les gens y rentrer de cette manière.

TMM : C’était difficile d’oublier la caméra ?

Eagle-Eye Cherry : Il y a des moments où cela est arrivé, lors des repas par exemple, où on échangeait sur nos vies et nos carrières. J’arrivais à me concentrer sur ce que les gens disaient parce que certaines de leurs histoires étaient très intenses et passionnantes. Et donc à ce moment-là tu oublies la caméra. Mais tu sais, c’est le programme télé le plus populaire de Suède. Tout le monde le regarde. Et j’ai longtemps refusé d’y participer. Mais j’ai senti que c’était le bon moment pour le faire. Il faut dire que pendant un temps, je me suis mis en retrait de l’industrie musicale. J’ai voulu faire une pause dans ma carrière parce que je ne savais pas si je voulais continuer à faire ce métier. C’était devenu fou. Avec la sortie de mes trois premiers albums, j’ai été en tournée pendant six ans non-stop. J’avais besoin de souffler. Et pourtant on n’arrêtait pas de me demander si je voulais participer à cette émission qui existe depuis 14 ans maintenant. Je continuais de dire non et puis après l’album ‘Streets Of You’, je me suis dit que j’étais enfin prêt à leur dire oui.

TMM : Tu as enregistré une reprise de la chanson Borta I tankard et c’est la première fois que tu enregistres un titre en suédois si je ne me trompe pas.

Eagle-Eye Cherry : Oui, tu as raison. C’était cool parce qu’à l’origine c’est une chanson de l’un des premiers groupes de hip-hop suédois, The Latin Kings. J’ai fait passer leur chanson de l’aire urbaine à la campagne pour en faire une version country, complètement différente. J’y ai écrit un autre couplet et un refrain également, ce qui était complètement nouveau pour moi parce que je n’avais jamais écrit en suédois jusque-là.

TMM : Comment est la scène musicale à Stockholm ?

Eagle-Eye Cherry : La scène musicale en Suède en général est très intéressante. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté New York où j’ai vécu pendant longtemps, avant de venir m’installer à Stockholm. C’était dans les années 90, j’avais besoin d’un changement. Ma petite amie de l’époque était suédoise et c’est une des raisons également qui m’a fait venir à Stockholm. Je me suis rendu compte rapidement que c’était une ville agréable et qu’il y avait de très bons musiciens. Je me suis donc installé là après la sortie de mon premier album. A partir de ce moment, la scène musicale suédoise n’a fait que grandir, d’où ont émergé des artistes comme Swedish House Mafia ou Avicii. C’est incroyable de voir qu’on fait autant de musique dans une petit aussi petit. Il y a tellement de groupes qui naissent. La Suède est un super endroit pour vivre.

TMM : Tu connais peut-être The Tallest Man On Earth ?

Eagle-Eye Cherry : Oui, j’adore ce qu’il fait. Ça me rappelle une anecdote plutôt drôle à propos de lui. J’étais assis dans un bar à Stockholm, plutôt désert vers minuit. Sa musique passait à ce moment-là et j’étais en train de me demander qui c’était car je ne l’avais encore jamais entendu. Ça sonnait comme quelque chose plutôt old school, genre Dylan. L’enregistrement était vraiment fort. C’était donc nouveau mais en même temps ça avait l’air vieux, j’avais du mal à comprendre. En fait c’est juste qu’un câble de la stéréo était mal branché donc ça passait juste en mono alors quand le gars du bar a résolu le problème, je me suis rendu compte qu’effectivement c’était un jeune artiste. C’est comme ça que je l’ai découvert, c’est un excellent chanteur. Tu connais Little Dragon ? Ils sont de Suède.

TMM : Non, ça ne me dit rien…

Eagle-Eye Cherry : Tu devrais les écouter, ils sont vraiment bons.  

TMM : Tu es connu partout dans le monde pour ta chanson Save Tonight, que représente pour toi cette chanson aujourd’hui et aimes-tu toujours autant la jouer sur scène ?

Eagle-Eye Cherry : J’aime toujours la jouer sur scène parce que je pense que c’est une belle chanson. Je suis très heureux d’être celui qui l’ai écrite. J’aime sa simplicité et comme je l’ai dit plus tôt, j’aime les paroles. Elle rend heureux tout le monde. Je la jouerais jusqu’à ma mort. J’ai toujours rêvé d’écrire une chanson qui passerait l’épreuve du temps et Save Tonight l’a fait. Il y a constamment une nouvelle génération qui la découvre et je pense qu’elle vivra plus longtemps que moi. C’est un rêve qui se réalise. Donc je suis très content d’être resté à la maison ce jour-là pour écrire cette chanson. Ma vie aurait été très différente si je ne l’avais pas fait.

TMM : Tu es connu également pour tes balades folks. Quelle relation entretiens-tu avec la guitare acoustique, avec l’instrument ?

Eagle-Eye Cherry : Quasiment toutes mes chansons naissent à la guitare acoustique et ensuite elles font leur chemin. J’ai découvert que si une chanson sonne bien et marche juste avec une guitare acoustique, alors c’est une bonne chanson. Elle peut ensuite prendre une toute autre forme, devenir un hymne rock ou bien rester plus simple. Mais tu sais en vrai, je suis bien meilleur pianiste que guitariste et pourtant je compose rarement avec un piano. La plupart du temps je le fais avec une guitare car j’ai plus d’inspiration avec celle-ci. Il y a quelque chose de spécial avec cet instrument.

TMM : J’imagine que tu dois avoir plusieurs guitares, quelle est ta préférée ?

Eagle-Eye Cherry : La Martin. J’avais une guitare avant qui a disparue. Je l’ai déposée à l’aéroport de Los Angeles et je ne l’ai jamais revu. J’étais très énervé parce que l’avais depuis longtemps. Et puis j’ai racheté exactement la même qui sonne aussi bien. Je me suis alors rendu compte que ce qui me manquait le plus ce n’était pas la guitare mais l’étui. J’avais collé dessus des autocollants de toutes les émissions de radio que j’avais faite dans le monde. Je ne pourrais jamais le remplacer. J’ai une vieille guitare Martin à la maison aussi qui date des années 50, je ne me souviens plus le modèle exact. Mais j’aime la façon dont elles vieillissent et sonnent mieux avec le temps.

TMM : Rick Rubin a déclaré une fois qu’il faisait de la musique pour lui, pas pour le public, et a expliqué que lorsque tu crées quelque chose vraiment pour toi-même, tu fais de ton mieux pour le public. Partages-tu la même pensée ?

Eagle-Eye Cherry : Pas complètement. J’ai travaillé avec lui, c’est un type incroyable. Il est très bon pour faire qu’un artiste ait vraiment un son qui lui est propre. Il s’est occupé de groupes qui étaient complètement perdus et il leur a rappelé qui ils étaient tout en les remettant sur le bon chemin. Comme je te disais tout à l’heure, je fais souvent de la musique pour qu’elle soit jouée en live. C’est mon truc, je ne fais pas de musique pour qu’elle passe à la radio ou pour qu’elle soit dans l’ère du temps parce que c’est ce que les gens écoutent actuellement. Je ne change pas mon style de musique pour qu’il soit à la mode. Pour le meilleur ou pour le pire (rires). Parce que je ne sais pas si c’est le cas en France mais aujourd’hui on ne fait plus beaucoup de musique à guitare, c’est plutôt pop désormais. Même si je pense que ça reviendra. Pour revenir à ta question, à chaque fois que je compose un bon morceau et que je vais en studio, j’imagine comment il va sonner sur scène et comment le public va réagir. Dans ce sens, je pense au public, je n’écris pas alors juste pour moi-même. Je ne garderais pas par exemple des chansons qui ne marcheraient pas en live. En fin de compte, c’est mon nom sur scène donc je prends du recul et je me dois de jouer des chansons qui correspondent à ce que je suis, à ce que je fais, à 100%. Je ne ferais pas de compromis là-dessus.

TMM : Tu jours ce soir aux Arcs à Quéven. C’est ton dernier concert en France, comment s’est passée cette tournée et qu’est ce qui fait que la France est si spéciale pour toi ?

Eagle-Eye Cherry : Le public a été incroyable ici, j’ai passé un très bon moment. Les français ont d’excellents gouts musicaux je dois dire. Ils ont été très bons avec moi et avec ma sœur (Neneh Cherry, ndlr), avec mon père également (Don Cherry, ndlr). J’ai une longue relation avec la France. Quand j’étais petit, mon père jouait souvent ici et on voyageait avec lui dans un bus. Je me toujours senti comme à la maison en France. Je suis un peu triste que ce soit le dernier concert. Nous continuons notre tournée en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Avec de la chance, ils seront aussi accueillants là-bas que les français l’ont été.

TMM : Tu reviendras…

Eagle-Eye Cherry : Oui, d’ailleurs on fait quelques festivals cet été et je crois que c’est prévu qu’on fasse des concerts à nouveau en début d’année 2025. Un nouvel album est en chemin, un single sortira probablement avant l’été, donc on reprendra la route à nouveau.  

TMM : Ta chanson Thinking About You fait reference au moment où tu as quitté New-York quand tu étais jeune. Maintenant tu vis à Stockholm mais est-ce que ça ne te manque pas de ne plus vivre à New-York parfois ?

Eagle-Eye Cherry : New-York me manque beaucoup mais ce n’est plus la même ville que celle où j’ai grandi. Je suis triste de voir que la majorité de la scène musicale s’est délocalisée à Los Angeles ou Nashville. Il ne se passe plus grand-chose à New-York. Désormais si je dois travailler aux Etats-Unis, je vais dans ces deux autres villes. Ça m’attriste parce que New-York m’a beaucoup inspiré. J’y vais encore mais surtout pour voir mes amis, plus pour la musique ou son énergie. Je ne pourrais plus vivre aux Etats-Unis maintenant. Je trouve que ce qui se passe politiquement est complètement dingue, les gens sont divisés. Si Trump revient au pouvoir, alors j’abandonnerai mon pays définitivement. S’ils sont si bêtes pour faire revenir cet homme au pouvoir, pour moi ce sera « Sayonara America ». J’ai des amis qui ont déjà quitté New York pour vivre en Europe ou dans d’autres villes en Amérique du Nord, c’est un endroit très étrange désormais. Mais ce n’est pas que là-bas. On voit que cette montée des extrêmes arrive en France également, comme c’est arrivé en Suède. Je n’aurais jamais pensé qu’on aurait un parti d’extrême droite raciste en Suède qui arriverait au pouvoir mais pourtant c’est le cas, c’est fou.

TMM : Ma dernière question est plus générale, qu’est-ce qu’un artiste avec une carrière comme la tienne peut encore rêver d’achever ?

Eagle-Eye Cherry : J’ai été très chanceux, j’ai eu le succès que tout le monde n’a pas obtenu parce que j’ai commencé ma carrière à une époque où on vendait encore beaucoup de disques en format CD et non pas en digital. Ce que je veux dire c’est que je peux vivre aisément de ma musique, je n’ai pas à me préoccuper de l’aspect économique. Tout ce que je veux maintenant c’est de continuer à faire des tournées, jouer en live autant que possible. Et je suis reconnaissant, chaque nuit où je monte sur scène, de voir que le public me suit et continue d’acheter des billets pour que je puisse continuer à jouer. J’ai grandi comme ça, mon père était un musicien de jazz. Il ne vendait pas beaucoup de CD mais il gagnait sa vie en faisant des concerts. Tout comme lui, j’espère pouvoir continuer de faire ce que j’aime. Quand je serais vieux, je m’imagine jouer mes chansons chaque vendredi soir dans le pub local (rires). C’est ce que je vois à la fin. Et continuer à prendre du plaisir, parce que je comme tu le sais, il y a eu un moment où je n’étais plus sûr de vouloir faire de la musique, je me voyais être dans l’ombre en tant que producteur ou parolier. Mais maintenant je sais que c’est ce que je veux. Je suis back on track !

‘Back On Track’ disponible depuis le 27 janvier 2023 chez Papa Cherry Records.

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